Plaidoyer auprès des bailleurs de fonds

“Nous sommes humains avant tout” – les travailleur.se.s du sexe s’organisent à l’île Maurice

Parapli Rouz, ou ‘Parapluie Rouge’ en créole mauricien, est la seule organisation communautaire promouvant les droits des travailleur.se.s du sexe à l’île Maurice. Le groupe est un partenaire du Fonds Parapluie Rouge et reçoit une subvention depuis 2015. Travailler depuis une nation insulaire est un chemin semé d’embûches, par exemple réussir à être visible et faire entendre sa voix dans un monde de plus en plus global et connecté. Mais les travailleur.se.s du sexe mauricien.ne.s ont un message fort à porter et savent se faire écouter.

Campagne de sensibilisation de Parapli Rouz – “J’ai les mêmes droits que toi”

Une population de travailleur.se.s du sexe sous-estimée

La dernière enquête nationale estime le nombre de travailleur.ses du sexe à Maurice à 6,223 femmes et 1,649 travailleur.se.s transgenres. Parapli Rouz rencontre seulement une poignée d’hommes travailleurs du sexe chaque année. Au-delà du travail de rue, les travailleur.se.s du sexe travaillent depuis leur domicile, les salons de massage, les restaurants, bars et boîtes de nuit ainsi que sur les plages et sur des catamarans. Certain.e.s travailleur.se.s du sexe font des allers-retours vers l’île voisine de la Réunion où ils/elles peuvent mieux gagner leur vie. Selon Parapli Rouz, ces statistiques sous-estiment copieusement la réalité et devraient être multipliées par minimum deux ou trois. Durant la seule année 2017, Parapli Rouz a rencontré plus de 2,000 travailleur.se.s du sexe à travers son travail de proximité.

L’un des challenges les plus importants pour les travailleur.se.s du sexe mauricien.ne.s sont les arrestations arbitraires des travailleur.se.s de rue. Même si la tenue de maisons closes est la seule activité criminalisée par la loi mauricienne, les travailleur.se.s de rue se font arrêter pour des motifs tels que « être dans la rue la nuit », «transporter des préservatifs dans leurs sacs» ou encore «être habillé.e.s de manière indécente », bien que ceux-ci ne constituent pas formellement des infractions passibles de sanctions.

Arrêté.e pour le seul motif de se promener dans la rue la nuit

Afin d’être relâché.e.s par la police, les travailleur.se.s de rue sont forcé.e.s de signer des rapports d’enquête fallacieux et se voient souvent refuser leur droit de passer un coup de téléphone depuis le commissariat. Les charges qu’ils/elles encourent ont souvent affaire au «racolage », à l’’«importuning» (le fait de solliciter l’attention de potentiels clients) ou encore «l’oisiveté et l’atteinte à l’ordre public ». Quand ces affaires sont portées devant le tribunal, les travailleur.se.s du sexe sont condamné.e.s à payer des amendes allant de 2,000 à 8,000 roupies mauriciennes (50 à 200 euros) et à des peines de prison allant jusqu’à 3 mois.

Cette bande dessinée – conçue par un groupe de travailleur.se.s du sexe et dessiné par l’ancienne présidente de Parapli Rouz Dani – est utilisée comme outil de sensibilisation à l’égard des médias, des parlementaires et de la police. Elle explique en une page l’étendue des défis et abus auxquels les travailleur.se.s du sexe font face : les clients qui refusent de payer et/ou sont violents, les agents de police qui inculpent les travailleur.se.s du sexe pour racolage au lieu d’enregistrer leurs plaintes, et les prestataires de santé qui ne prennent pas leurs blessures au sérieux et ne leur administrent pas les soins nécessaires.

Une caravane pour lutter contre les abus policiers

Pour faire face à ces violations des droits humains des travailleur.se.s de rue, en 2015 Parapli Rouz a utilisé une partie de son premier financement du Fonds Parapluie Rouge pour acheter une caravane. L’équipe utilise ainsi la caravane pour mener une fois par semaine son travail de proximité dans divers lieux de travail disséminés sur l’île. La simple présence de travailleur.se.s communautaires dans les lieux de travail de rue a visiblement améliorer la situation et aider à mettre fin à l’impunité des agents de police, qui savent désormais qu’ils sont surveillés.

« Malgré la violence et la discrimination, nous sommes toujours là en force”

Un premier procès gagné en 2016 – Parapli Rouz a fourni une aide juridique et un avocat à une travailleuse du sexe encourant des poursuites et celles-ci ont été abandonnées par le tribunal – a permis de créer un précédent : les commissariats de police sont maintenant conscients que Parapli Rouz se tient aux côtés des travailleur.se.s du sexe et qu’ils ne sont plus des proies faciles.

 

Ce travail porte ses fruits : récemment, une travailleuse du sexe de Quatre Bornes a été arrêtée mais s’est vue pour la première fois octroyer son appel téléphonique. Les travailleur.se.s portent désormais avec eux/elles des cartes de visite de Parapli Rouz qu’ils ou elles présentent aux officiers quand ils ou elles entrent en contact. Ces cartes envoient un message fort et prouvent que les travailleur.se.s du sexe ne sont ni seul.e.s ni impuissant.e.s. En plus de cette caravane, Parapli Rouz s’apprête à lancer un numéro vert (hotline) pour les travailleur.se.s du sexe, disponible 24h/24 et 7j/7. L’objectif est d’être capable de réagir rapidement dans les cas d’urgence – comme des actes de violence de la part de la police ou de clients – quand l’équipe n’est pas sur le terrain, et d’accroître la sécurité des travailleur.se.s à toute heure.

D’un focus sur le SIDA/VIH à une stratégie de lobbying et de plaidoyer

Peu après sa création en 2010, Parapli Rouz a reçu des fonds du Fonds Mondial de Lutte contre le Sida, la Tuberculose et la Malaria, pour mettre en place des activités en lien avec la prévention VIH au sein de la communauté des travailleur.se.s du sexe. La coordinatrice de l’organisation, Sophie Ganachaud, explique que Parapli Rouz a toujours souhaité travailler davantage sur le plaidoyer, mais que cela n’a jamais été reconnu comme une priorité par leurs bailleurs de fonds potentiels, dans la mesure où la défense et la promotion des droits des travailleur.se.s du sexe demeurent hautement controversées. En effet, les financeurs ont tendance à prioriser fortement la lutte contre le SIDA/VIH sur la continent africain (auquel l’île Maurice est traditionnellement attachée). Pour cette raison, les organisations de la société civile ont souvent des difficultés à étendre leurs activités au-delà des services de santé, vers davantage de lutte pour leurs droits humains.

Sur le panneau : “Nous sommes humain.e.s avant tout. Merci Parapli Rouz”

Avec le financement flexible de base du Fonds Parapluie Rouge, Parapli Rouz a décidé de restructurer l’organisation et de dédier davantage de temps au plaidoyer externe. Bien qu’il travaille toujours sur la prévention VIH, le groupe est désormais doté d’un plan de plaidoyer exhaustif ciblant les services de santé, le personnel politique, la police et les médias. Le groupe a organisé un atelier pour les journalistes, dans l’objectif d’en finir avec le ton moralisateur et les portraits irréalistes qui sont monnaie courante lorsque le sujet du travail du sexe est traité dans les médias. Il en résulte une plus grande et meilleure couverture médiatique du travail de l’organisation dans la presse locale. Encouragé par ce succès, Parapli Rouz va embaucher un chargé de communication pour étendre plus encore leur influence et présence dans les médias.

L’hypocrisie comme pire ennemi

L’un des plus gros défis de Parapli Rouz est de réussir à développer des relations avec des représentant.e.s des institutions publiques nationales. A plusieurs reprises, des représentant.e.s du gouvernement ont pris position en faveur du travail du sexe lors de réunions privées, mais l’expérience tend à montrer qu’ils/elles ne partagent jamais cette opinion sur la place publique. Le risque politique lié à une telle prise de position est toujours élevé à l’île Maurice, et les doctrines religieuses sont très influentes. Comme nous l’explique Sophie Ganachaud, coordinatrice de Parapli Rouz : « pour les politicien.ne.s mauricien.ne.s, soutenir les droits des travailleur.se.s du sexe revient à signer son propre arrêt de mort politique et risquer la fin de sa carrière politique ».

Campagne de sensibilisation de Parapli Rouz par la coordinatrice Sophie : “Arrêtez l’hypocrisie”

En 2016, la Ministre de l’Egalité entre les Genres s’est jointe à la commémoration du 17 Décembre (la journée internationale pour l’élimination des violences faites aux travailleur.se.s du sexe) organisée par Parapli Rouz, et a publiquement offert de collaborer. Malheureusement, elle a démissionné deux jours plus tard.

Toutefois, Parapli Rouz continue à inviter des officiers gouvernementaux et de la police, en espérant qu’ils finiront par s’exprimer haut et fort et à prendre position en public, à profil découvert. Le 17 Décembre 2018, Parapli Rouz a organisé une marche pacifique et un discours officiel au Jardin de la Compagnie, dans la capitale Port Louis. Il s’agit d’une véritable victoire pour Parapli Rouz, puisque c’est la première fois que le groupe obtient l’autorisation de manifester et de défiler devant le Parlement. La manifestation a réuni un grand nombre de travailleur.se.s du sexe et allié.e.s et a reçu une bonne couverture médiatique.

Une recette pour le succès

Sur le panneau : ‘’Nous avons le droit de prendre soin de notre santé”

A la suite de la restructuration de l’organisation en 2018, l’équipe a déménagé de son local de Port Louis pour s’installer dans des bureaux moins chers et plus spacieux dans la zone centrale Beau Bassin, qui abrite une grande partie de la population de l’île. A la suite de leur arrivée, Parapli Rouz a organisé avec succès des rassemblements communautaires entre les travailleur.se.s du sexe des deux secteurs, de manière à augmenter le sentiment de solidarité entre les deux groupes et de désamorcer tout sentiment de territoire ou de compétition. La recette de ce succès est un concept que les membres du groupe appellent la ‘’corité’’, soit un mélange de ‘’collaboration’’ et de ‘’solidarité’’. Leur but est d’unir les forces des différentes communautés de travailleur.se.s du sexe (les trans, les femmes, les travailleur.se.s de rue et ceux/celles travaillant depuis d’autres lieux) pour faire face à leurs ennemis communs et défendre leurs droits ensemble.

Cet article a été écrit par Claire Gheerbrant, sur la base d’une interview avec Sophie Ganachaud (coordinatrice), Shameema Boyroo (chargée de mobilisation communautaire) et Mélanie Babet (chargé du soutien à la mobilisation communautaire).

La bande dessinée figurant dans l’article a été créée par Dany, ancienne présidente de Parapli Rouz aui nous a récemment quittée, et à qui cet article est dédié.

 

 

 

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